Maghrébins du Monde

Les opticiens annoncent une grève générale ce mardi 7 avril dans tout le Maroc

À l’origine, un bras de fer avec les ophtalmologues.

CONFLIT SOCIAL – “Nous n’exerçons pas une profession illégale!”. Les esprits s’échauffent au sein des opticiens venus de toutes les régions du Maroc pour rencontrer les médias, ce lundi à Rabat. Le Syndicat professionnel national des opticiens du Maroc (SPNOM), qui estime le nombre des opticiens à environ 4.000, a pris cette initiative comme ultime recours afin se faire entendre. “Après plusieurs tentatives vaines auprès du ministère de la Santé, il ne nous reste plus que le militantisme. Notre premier pas sera une grève générale demain, dans tout le Maroc”, annonce le vice-président du SPNOM, Hicham Khallati.

Les opticiens sont invités à coller sur leur magasin une affiche que le syndicat leur a distribuée au tout début de cette conférence. De couleur noire, l’affiche qui annonce cette grève s’adresse aussi aux citoyens: “Je suis en grève parce que je refuse le projet de loi 45-13 qui minimise mon rôle dans le système national de la santé”. Soulignant que le rôle de l’opticien allie technique, médical et service, Hicham Khallati rappelle que l’exercice de la profession est régi depuis 1954 par un dahir dont le contenu est dépassé par l’évolution du secteur. “Mais lorsque nous avons examiné le projet de loi, actuellement soumis à la Chambre des conseillers, nous avons relevé plusieurs contradictions et dysfonctionnements”, affirme-t-il. Et d’ajouter que le SPNOM a réagi en proposant 23 amendements. “À la première Chambre, indifférence et au ministère de la Santé, indifférence aussi, malgré notre plaidoyer”, regrette-t-il.

Ce projet de loi portant sur l’exercice des professions de rééducation, de réadaptation et de réhabilitation fonctionnelle a été voté par la Chambre des représentants en 2016 et depuis, il attend l’aval des conseillers à la 2ème Chambre du Parlement. “Nous dénonçons la stagnation que connaît ce texte déposé par le ministère de la Santé en 2013”, écrit le SPNOM dans un communiqué publié à l’occasion.

Ce que craignent les opticiens, c’est que le lobby des ophtalmologistes réussisse à faire pression sur les députés et le gouvernement. Par la voix du Syndicat national des ophtalmologistes libéraux du Maroc et du Collège syndical national des médecins spécialistes privés, une lettre avait été adressée en février dernier par ces spécialistes au chef du gouvernement le mettant en garde contre ce projet de loi autorisant, selon eux, “l’exercice illégal de la médecine”.

Les ophtalmologistes contestent l’article 6 (qui reprend l’article 5 du dahir de 1954). Ce dernier stipule que “l’opticien lunetier délivre au public des articles d’optiques destinés à corriger ou à protéger la vue”. Il précise que l’opticien “réalise l’adaptation et l’ajustage desdits articles au moyen d’instruments de contrôle nécessaire”. Par contre, il n’autorise pas l’opticien lunetier à délivrer un dispositif médical d’optique sans prescription médicale dans 4 cas: pour les sujets de moins de 16 ans, lorsque l’acuité visuelle est inférieure ou égale à 6/10 après correction ou encore en cas d’amétropies fortes et de presbyties en discordance avec l’âge.

“On n’est plus en 54! Les opticiens sont-ils formés à la faculté de médecine? Un patient, ce n’est pas des mesures de lunettes. Les optométristes dans les pays développés travaillent sous la tutelle de médecins”, avait déclaré alors au HuffPost Maroc le Dr. Mohamed Chahbi, ophtalmologiste et vice-président de la Société marocaine des ophtalmologistes privés. Pour les ophtalmologistes, l’article 6 doit ”être supprimé” et les opticiens devraient se contenter de “vendre uniquement des lunettes”. “Si on enlève cet article, notre profession ne sera plus. Cette loi ne nous engagera en rien dans ce cas”, fait remarquer le vice-président du SPNOM.

“Nous exerçons notre travail sur la base de cursus de formation supérieure qui délivrent des diplômes d’opticiens-optométristes”, assure, de son côté, Nouâmane Cherkaoui, membre du SPNOM. Contestant l’appellation de “lunetiers” dans le dahir de 54, ces opticiens se défendent en précisant disposer d’un standard et d’un référentiel établi grâce à des experts nationaux et internationaux au diapason de l’évolution que connait le secteur.

“La formation de l’opticien-optométriste est homologuée au Maroc. L’Université cadi Ayyad délivre d’ailleurs des licences de 3 ans de formation d’optique et d’optométrie”, déclare au HuffPost Maroc, Mounir Ghissassi, également vice-président du SPNOM. Pour ce dernier, l’opticien est bien conscient de son rôle et ne peut empiéter sur celui de l’ophtalmologue. “Entre la pathologie et la fonction, c’est dans celle-ci que se trouve notre champ d’action (…) Mais, nous avons le sentiment d’être asphyxiés par les ophtalmologues”, fustige Ghissassi, estimant que certains de ces spécialistes cherchent à “leur voler 65 ans d’existence” pour des raisons “de concurrence, sans plus”.

Pourtant, cette concurrence n’a pas lieu d’être. “Dès que nous constatons un problème pathologique, on recommande à la personne d’aller consulter un ophtalmologue”, assure-t-il. Les opticiens veulent agir dans la complémentarité dont ils ne parviennent pas à convaincre les spécialistes. “Nous avons alors élaboré un mémorandum réunissant toutes les preuves scientifiques qui démontrent que notre profession porte sur la réfraction comme acte sanitaire indépendant de la médecine”, précise Ghissassi.

Ce mémorandum intitulé “Délivrer des lunettes sans prescription est un acte sans danger pour les yeux des citoyens”, a été soumis au chef du gouvernement, aux départements de la Santé et de l’Education nationale ainsi qu’aux présidents des deux Chambres du Parlement et aux commissions parlementaires concernées. “Nous revendiquons un dialogue sérieux et officiel qui puisse aboutir à un compromis. Nous avons demandé aux ophtalmologues d’ouvrir la voie du dialogue avec nous, mais ils ont refusé”, se désole Khallati, qualifiant d’aberrant que les actes pour lesquels ils sont formés soient du jour au lendemain “supprimés”. “Si demain, un chauffeur va chez un opticien pour refaire ses lunettes qu’il a perdues et qu’il en a grand besoin au plus vite, le jour même, doit-on lui demander de prendre d’abord rendez-vous chez un ophtalmologue? Il en aura pour plusieurs jours dans le privé et des mois dans le public”, ironise Khallati.

Le SPNOM promet d’autres grèves pour se faire entendre. “Demain, nous devons tous montrer que nous sommes unis autour de la même vision”, prévient-il à l’attention des opticiens présents dans l’assistance.

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