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Rome immobilise un navire humanitaire, accusé d’avoir mis en danger des migrants en mer

Les autorités italiennes ont immobilisé samedi le navire allemand Humanity 1 au port de Crotone. Rome reproche au bateau humanitaire d’avoir secouru 46 migrants au large des côtes libyennes, sans respecter ses instructions, et d’avoir mis en danger la vie des naufragés. Les exilés se trouvaient dans l’eau au moment de l’arrivée du Humanity 1, alors que les Libyens tentaient d’intercepter le canot.

Nouvelle immobilisation d’un navire humanitaire en Italie. Le Humanity 1, de l’ONG allemande SOS Humanity, a été bloqué samedi 2 décembre au port de Crotone, en Calabre, après le débarquement de 200 migrants secourus quelques jours plus tôt en Méditerranée centrale. Il va devoir rester 20 jours à quai, et s’est vu infliger une amende de 3 333 euros.

Cette immobilisation est rendue possible par le décret Piantedosi, du nom du ministre de l’Intérieur italien, validé en décembre 2022. Le texte oblige les ONG à se rendre « sans délai » au port de débarquement assigné par Rome juste après une première opération de secours en mer. Si la loi actuelle autorise toujours les humanitaires à conduire un autre sauvetage sur la route du retour en direction de l’Italie, celle-ci ne peut s’effectuer que sur ordre ou accord de Rome.

Dans l’affaire du Humanity 1, les autorités italiennes reprochent au bateau d’avoir ignoré les instructions du centre de coordination libyen (responsable de la zone) au moment de son deuxième sauvetage, jeudi 30 novembre, au large de la Libye. Elles estiment également que le navire humanitaire a empêché une interception des garde-côtes libyens, et a mis en danger les exilés.

« Je suis choqué par les mensonges »

Mais l’équipage réfute ces accusations et dénonce « une série de mensonges éhontés » et annonce une action en justice. Que s’est-il passé en Méditerranée jeudi ? Retour sur les évènements.

Après un premier sauvetage de 90 personnes dans la matinée, le Humanity 1 procède à une seconde opération quelques heures plus tard. Lorsque les humanitaires arrivent sur zone, 46 migrants se trouvent à l’eau, sans gilet de sauvetage. Les exilés venaient d’être interceptés par les garde-côtes libyens, et tentaient de leur échapper. Dans l’urgence, le navire a porté assistance aux naufragés et les ont pris en charge à bord.

Selon Rome, les migrants se sont jetés à l’eau à la vue du navire humanitaire, alors que les autorités lui avaient ordonné de quitter la zone et de laisser les Libyens gérer la situation. Une affirmation que contredit formellement le Humanity 1.

« Je suis choqué par les mensonges contenus dans le rapport d’arrestation », explique Joachim, capitaine de bateau. « Je n’ai reçu aucune instruction du patrouilleur libyen. Au contraire, j’ai essayé de contacter à la fois le centre de coordination des secours libyen par e-mail et par téléphone et le patrouilleur libyen par radio, sans recevoir de réponse. Cela ressort également des échanges radio et électroniques entièrement documentés », assure-t-il.

Plus de 2 200 morts en Méditerranée centrale cette année

Par ailleurs, toujours d’après SOS Humanity, le navire humanitaire se trouvait à une distance trop lointaine pour que les migrants l’identifient comme celui d’une ONG. De plus, les exilés se trouvaient déjà dans l’eau au moment de leur venue. « Nous avons été informés par radio 20 minutes avant notre arrivée [par l’avion de surveillance Seabird 1, ndlr] qu’il y avait plus de 40 personnes dans l’eau », rapporte encore le capitaine Joachim.

Les données de position apportées par les humanitaires montrent que le Humanity 1 se trouvait à 5 km du lieu de l’incident. « Quand on est dans un petit bateau, on ne peut pas identifier un navire à cette distance », assure le capitaine. « Les ‘soi-disant’ garde-côtes libyens n’ont rien fait pour sauver de la noyade les personnes se trouvant dans l’eau ».

Les navires humanitaires sont régulièrement immobilisés par Rome. Mi-novembre, l’Ocean Viking, de SOS Méditerranée, a été bloqué à quai pendant 20 jours pour avoir secouru deux embarcations en détresse sans avoir reçu le feu vert des autorités. Début octobre, c’est l’Open Arms, de l’ONG espagnole éponyme, qui a subi le même sort. Les autorités italiennes lui reprochaient aussi d’avoir effectué plusieurs opérations de sauvetage, sans son accord, en Méditerranée centrale.

Les ONG s’élèvent depuis des mois contre le décret Piantedosi, qui les éloignent de la zone de recherche et de sauvetage. Depuis janvier, plus de 2 200 personnes sont mortes en Méditerranée centrale en tentant de rejoindre les côtes européennes, selon les chiffres de l’Organisation internationale des migrations (OIM). L’année 2023 est la plus meurtrière dans cette zone maritime, depuis 2017 où environ 2 800 migrants avaient péri dans ces eaux.

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