Maghrébins d'EuropeMaghrébins du Monde

Méditerranée : un bateau de 500 personnes disparu des radars finalement retrouvé en Libye

Un bateau avec quelque 500 personnes à son bord a disparu des radars pendant deux jours et demi en Méditerranée centrale. Plusieurs organisations se sont démenées pour retrouver les naufragés. La plateforme Alarm Phone, qui vient en aide aux migrants en mer, a finalement retrouvé le navire en Libye. Selon des proches des passagers, les exilés ont été récupérés par les garde-côtes libyens dans la zone maritime maltaise.

C’est l’histoire d’un bateau fantôme renvoyé en enfer. En début de semaine dernière, la plateforme d’aide aux migrants en mer, Alarm phone, a été contactée par un navire en détresse en Méditerranée centrale composé d’environ 500 migrants. Après deux jours de recherches, le navire semblait avoir disparu, laissant craindre un naufrage extrêmement meurtrier.

Mais l’organisation a eu, vendredi 26 mai, confirmation que le bateau a en fait été récupéré par des garde-côtes libyens, bien loin de leur zone d’exercice, et ramené en Libye. Les passagers ont été placés en détention à Benghazi, à l’est du pays.

Dans un communiqué publié lundi 29 mai, Alarm phone et trois autres organisations humanitaires impliquées dans les recherches du navire (Emergency, Sea Watch et Mediterranea Saving Humans) retracent, heure par heure, l’histoire de ce refoulement.

« Le bateau coule »

Tout commence le mardi 23 mai, dans l’après-midi. Alarm phone reçoit un appel de détresse provenant d’un bateau en difficultés dans la zone de recherche et sauvetage (SAR zone) maltaise, avec quelque 500 personnes à bord. Les passagers indiquent être originaires de Syrie, d’Égypte, du Bangladesh et du Pakistan.

Au téléphone, une personne arabophone affirme que le navire – un vieux bateau de pêche en métal – est parti de Tobrouk, dans l’est de la Libye et que le moteur de l’embarcation s’est arrêté. À bord, les passagers, parmi lesquels 45 femmes, dont certaines sont enceintes, et 55 enfants, doivent écoper l’eau qui entre désormais dans le navire.

Contacté par Alarm phone, le centre de coordination des opérations maritimes maltais, le RCC Malte, confirme avoir été alerté de la situation et annonce qu’il va agir. Un signalement est envoyé à un cargo marchand situé à proximité des migrants mais il n’intervient pas.

Vers 17h, le bateau de sauvetage Life support de l’ONG Emergency se tient prêt à intervenir. Il avertit le MRCC italien, qui lui répond que le navire de migrants étant situé dans la SAR zone maltaise, c’est à La Valette de coordonner l’opération.

À bord, la situation se dégrade, indiquent des passagers lors de leurs échanges avec Alarm phone. De plus en plus d’eau entre dans le bateau, forçant les passagers du pont inférieur à se regrouper sur le pont supérieur. « Le bateau coule », alerte une migrante. Une personne signale également qu’une femme est sur le point d’accoucher.

Peu après 20h, l’ONG de sauvetage SOS Humanity, qui affrète le navire ambulance Humanity 1,indique à Alarm Phone faire route vers la dernière position connue du bateau, donnée à 19h17.

Un bateau introuvable

Alors qu’aucune opération de secours n’est lancée dans la journée du 23 mai, le 24 au matin, les garde-côtes libyens quittent Benghazi en direction du navire en difficultés. Dix minutes plus tard, Alarm phone perd le contact avec les passagers du bateau à la dérive. Tout au long de la journée, ses appels restent sans réponse.

De son côté, Emergency tente de reprendre contact avec le RCC maltais pour lancer une opération de secours, en vain. Tout l’après-midi du 24 mai, l’avion Seagull, de l’opération de surveillance européenne en Méditerranée Irini, survole la zone indiquée par les passagers mais ne parvient pas à repérer le navire en difficultés.

Le Life Support d’Emergency, l’Ocean Viking de SOS Méditerranée et le Humanity 1 de SOS Humanity se joignent aux recherches mais le navire reste introuvable.

Au cours de la journée du jeudi 25 mai, Alarm phone poursuit ses contacts avec les centres de coordination des sauvetages en mer italien et maltais. Frontex et la direction de l’opération Irini sont également interrogés mais sont incapables de dire ce qu’il est advenu du navire.

Retour en Libye

Ce n’est que vendredi matin, le 26 mai, qu’Alarm phone apprend par un proche de l’un des passagers du navire ce qu’il est arrivé : rejoint par les garde-côtes libyens, les 500 migrants ont été renvoyés en Libye et emprisonnés à Benghazi.

Selon d’autres témoignages recueillis par Alarm phone auprès de proches, le bateau se serait retrouvé bloqué par les Maltais après être entré dans les eaux territoriales maltaises. Il aurait été repoussé vers le large puis intercepté par le bateau libyen qui approchait.

« Au lieu d’amener en lieu sûr des personnes qui avaient tenté d’échapper à l’extrême violence […], une autorité d’un État membre de l’Union européenne – à savoir le RCC Malte – a décidé d’organiser un refoulement massif par procuration en mer, forçant 500 personnes à parcourir 330 km pour se retrouver dans une prison libyenne », condamne Alarm phone dans son communiqué.

Refoulements en eaux maltaises

Cette opération de refoulement est loin d’être la première menée par les autorités maltaises. Depuis des années, la petite île européenne reste fermée aux débarquements des migrants secourus en mer Méditerranée. Jamais ou presque, elle n’a autorisé les ONG à entrer dans ses ports. Jamais ou presque non plus, elle n’est venue prêter main forte aux embarcations en détresse dans ses eaux territoriales.

Le dernier rapport du Conseil européen sur les réfugiés et exilés (ECRE), publié en 2021 et mis à jour en mai 2022, détaillait les comportements « illégaux » voire cyniques de La Valette. « Les autorités sont accusées de faire tout leur possible pour empêcher les bateaux d’entrer dans leur SAR zone [zone de recherche et de sauvetage] conformément à un protocole d’accord entre La Valette et Tripoli, signé en mai 2020 », rappelait l’ECRE. À la place, Malte laisse carte blanche aux garde-côtes libyens pour s’occuper des interceptions des canots d’exilés, en dépit des conditions de vie intolérables pour les migrants renvoyés vers Tripoli.

Parmi les cas de refoulements notables, en octobre 2022, quatre ONG ont accusé le RCC de Malte d’avoir ordonné à un navire marchand d’amener en Égypte des migrants secourus à moins de 300 kilomètres des côtes maltaises.

Afficher plus

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page