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Covid-19: une sortie du Président congolais relance le débat sur la médecine africaine

Lors d’une conférence à Berlin en tant que Président de l'UA, le Président congolais, Félix Tshisekedi, a vanté des stratégies thérapeutiques africaines pour combattre le Covid-19. Une sortie qui intervient dans un contexte où les solutions occidentales souffrent des théories complotistes et où la pharmacopée locale divise encore sur le continent.

Lasse d’attendre d’être adoubée par les organisations internationales, la pharmacopée africaine a profité de la crise sanitaire mondiale pour mieux se vendre en proposant son savoir-faire. Des thérapies et recettes autrefois prises dans l’ombre sont désormais mises en avant par les dirigeants du continent. Alors qu’il prenait part fin août à une conférence économique sur l’Afrique à Berlin, Félix Tshisekedi, chef de l’État congolais et président en exercice de l’Union africaine, n’a pas hésité à vendre le mérite de ce qu’il a présenté comme des solutions curatives africaines contre le coronavirus. Lors d’un point de presse, aux côtés de la chancelière allemande Angela Merkel et du Président de la république sud-africaine, Cyrille Ramaphosa, Félix Tshisekedi a en effet vanté, dans son discours, «deux produits anti-covid» congolais qui, dit-il, «ont vraiment montré leur efficacité» et assure avoir consulté «plusieurs scientifiques» à ce sujet.

Le Président congolais a cité le Doubase-C, un antiviral à base de plantes présenté en janvier à Kinshasa, et le Manacovid, un liquide à base de plantes locales approuvé par le ministère de la Santé congolais fin 2020.

 

Une sortie controversée

Cette sortie de Félix Tshisekedi n’a pas manqué de susciter moult réactions sur la Toile et en IRL. D’un côté, certains saluent l’audace du chef de l’État congolais -lequel compte, en ce début septembre, plus de 54.000 cas détectés pour un peu plus de 1.000 morts- dans un monde dominé par des solutions venues en partie de l’Occident.

​Tandis que d’autres estiment que Félix Tshisekedi s’est avancé un peu trop vite sur un terrain qu’il ne maîtrise pas entièrement, qui plus est en l’absence de preuves scientifiques irréfutables. D’autant plus qu’en parlant de l’efficacité présumée de ces produits, il a lui-même précisé qu’il «ne p[ouvait] pas dire à quelle hauteur» ces produits avaient «montré leur efficacité».

​Et pourtant ce n’est pas la première fois que des médicaments issus de la pharmacopée africaine sont proposés depuis le début de la pandémie. En 2020, le Président malgache, Andry Rajoelina, avait promu le Covid Organics -un remède miracle à base d’artemisia (anti-malaria) et d’une plante antivirus locale réputée, le ravintsara-, même si la potion ne semble pas avoir inversé la courbe des contaminations.

Au Cameroun, le ministre de la Santé publique, Malachie Manaouda, a officiellement autorisé en cette mi-2021 la mise sur le marché local de quatre médicaments traditionnels améliorés (MTA) pour lutter contre le Covid-19. Maladie qui a déjà touché plus de 83.000 personnes et fait plus de 1.350 morts dans le pays.

Les autorités sanitaires précisent néanmoins qu’il s’agit d’«adjuvants au traitement». C’est-à-dire qu’ils doivent être associés au protocole anti-Covid existant.

Les spécialistes de la médecine dite conventionnelle regardent encore d’un œil méfiant les solutions proposées tous azimuts depuis le début de la pandémie. Des spécialistes comme le Pr Aimé Bonny, cardiologue, médecin des hôpitaux de France et du Cameroun, enseignant à l’université de Douala, désapprouve les autorisations de mise en vente de ces produits sur le marché local.

«Comment peut-on faire confiance à un médicament qui n’a point bravé la « douloureuse » épreuve d’un essai clinique randomisé et contrôlé [phase 3 des essais cliniques nécessaires à la mise sur le marché d’un nouveau médicament, ndlr]? Nous sommes en plein apologie de la paresse intellectuelle dans laquelle se complaisent les inventeurs de ces décoctions dont l’efficacité reste à prouver», déplore le médecin au micro de Sputnik.

Cependant tempère, Aimé Bonny, «il n’est pas question de désavouer la pharmacopée traditionnelle africaine. Je demande que celle-ci s’arrime à l’époque dans laquelle nous vivons. La médecine fondée sur les preuves est à l’origine du bond qualitatif incroyable de l’offre de soins dans le monde; les Africains ne peuvent s’en éloigner au risque de rester à quai. Apportons les preuves que ça marche, et les Occidentaux consommeront notre pharmacopée».

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) se montre tout aussi prudente. Lors d’une conférence de presse en ligne de l’OMS-Afrique en aout 2021, et répondant à une question du site d’information SciDev.Net, Gilson Paluku, chargé de la vaccination systématique au bureau régional de l’OMS pour l’Afrique, soulignait la nécessité de respecter tous les processus en vigueur avant d’approuver l’efficacité des nombreux produits: «Tous les éléments doivent être réunis pour qu’on puisse conclure, non seulement à l’efficacité du produit mais aussi dire si le produit est sûr, de qualité, qu’il ne peut pas avoir un impact négatif sur la santé. Quels sont les effets secondaires? C’est à toutes ces questions qu’on doit répondre et les méthodes qui doivent être utilisées doivent être des méthodes scientifiquement admises par tout le monde».

 

Les solutions africaines contre les théories complotistes?

Entretemps, les théories complotistes fusent sur le continent autour des vaccins notamment occidentaux. Félix Tshisekedi propose: «Nous avons fait l’examen de la situation en Afrique par rapport au vaccin en parlant de la nécessité de transferts de technologie et des droits de propriété afin que le vaccin puisse être produit en Afrique tout simplement parce que cela va contribuer à rassurer davantage les Africains et casser avec ces théories complotistes, ces messages en tout genre qui visent à susciter la méfiance des Africains vis-à-vis du vaccin», a-t-il laissé entendre à Berlin. Une manière pour le Président de clarifier sa position, lui qui avait été accusé d’avoir contribué à cette méfiance, quand il déclarait quelques mois plus tôt au sujet du vaccin AstraZeneca, qu’il n’était «pas convaincu» par la préparation.

Pour Pierre Noumessi, vice-président de l’association des tradipraticiens du Cameroun, il faut aller plus loin face à la pandémie: «Il est temps de faire entièrement confiance à la médecine africaine».

«La preuve est que l’Afrique a mieux géré la pandémie que quiconque. Ceux qui croient en l’Afrique ne souffriront pas de cette maladie. Grâce à nos plantes aux vertus préventives et curatives, la catastrophe annoncée sur le continent n’a pas eu lieu», se réjouit l’homme au micro de Sputnik.

Par Anicet Simo
Source : Sputnik 

 

 

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