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Grèce : les neufs accusés du naufrage de Pylos clament leur innocence

Les neufs Égyptiens emprisonnés en Grèce après le dramatique naufrage du chalutier de 750 personnes au large de Pylos en juin 2023 affirment qu’ils n’étaient que des passagers comme les autres. Les accusés risquent des centaines d’années de prison. Selon des avocats, cette affaire démontre une nouvelle fois la « criminalisation » des migrants par les autorités grecques.

« À quiconque me demande pourquoi je suis en prison, je réponds que je ne sais pas ». Saeed*, un Égyptien de 21 ans, fait partie des neuf personnes soupçonnées d’être des passeurs et emprisonnées en Grèce après le naufrage de Pylos.

Le 14 juin 2023, un chalutier parti de Libye chavire au large de la péninsule du Péloponnèse avec près de 750 migrants à bord. Seuls 104 exilés sont secourus par les garde-côtes grecs et 84 corps sont repêchés. Le bilan se solde aujourd’hui par plus de 500 morts. Ce drame est une des pires tragédies qu’a connu la Grèce ces dernières années.

Dès le lendemain de l’accident, neuf Égyptiens, présents à bord du bateau, sont désignés par des migrants comme les passeurs responsables de la traversée et du drame, puis interpellés et incarcérés. Ils encourent des centaines d’années de prison : en vertu d’une loi grecque de 2014, ils risquent 10 années de prison pour chaque passager présent sur le navire.

« Nous sommes des enfants, nous sommes terrifiés »

Mais huit mois plus tard, le récit officiel semble s’effriter. Dans une longue enquête du média Al Jazeera, les accusés, joint par téléphone dans leur centre de détention, clament leur innocence. Ils affirment qu’ils étaient, comme les autres exilés à bord, de simples passagers.

« Nous sommes des enfants, nous sommes terrifiés. On nous dit qu’on serait condamné à 400 ou 1 000 ans de prison. Chaque fois qu’on entend ça, on a envie de mourir », témoigne Saeed.

Les neufs Égyptiens, parmi lesquels on trouve des étudiants et des pères de famille, racontent avoir payé entre 140 000 et 150 000 livres égyptiennes (4 200 à 4 500 euros) à un passeur pour monter sur le chalutier. « Si je suis la personne qui a mis ces gens sur le bateau, j’aurai sept, huit ou neuf mille euros… voire 20 milles euros. Pourquoi diable devrais-je monter à bord d’un bateau comme celui-ci », insiste Magdy*, un autre accusé cité par Al Jazeera.

Pis, deux survivants, originaires de Syrie, assurent à la chaîne qatarie qu’ils n’ont pas versé le moindre centime aux accusés, mais qu’ils ont payé d’autres Égyptiens. « Ils ne sont responsables de rien », insiste Ahmed*, l’un des rescapés du naufrage. « Ils n’ont rien avoir avec le naufrage, c’est évident », renchérit Mohammed*, un autre survivant.

Lors du naufrage, les accusés « dirigeaient simplement les gens quand le navire a commencé à s’incliner. Ils criaient [aux migrants] de stabiliser le bateau », explique Ahmed.

Rôle trouble des garde-côtes grecs

« La Grèce a tué nos frères et amis, et maintenant je suis en prison », souffle un Égyptien emprisonné.

Quelques jours après le drame, le rôle des autorités grecques avait été pointé du doigt. Les rescapés ont déclaré que les garde-côtes avaient fait chavirer le chalutier en tentant de le remorquer en dehors des eaux grecques.

Une enquête de la BBC démontrait par ailleurs que le bateau bondé était à l’arrêt au large de la Grèce et nécessitait une aide urgente, contrairement à la version donnée par les garde-côtes grecs, selon laquelle les exilés faisaient route vers l’Italie à une vitesse régulière.

En septembre, 40 survivants avaient porté plainte contre l’État grec et demandaient une enquête approfondie. Trois mois après le naufrage, « aucun des survivants n’avait été appelé à témoigner ou fournir des preuves dans le cadre d’une enquête », déploraient un collectif d’ONG dans un communiqué.

En décembre, Amnesty international et Human Rights Watch (HRW) s’alarmaient que les enquêtes portant sur les responsabilités éventuelles des garde-côtes grecs n’aient « pas progressé de manière significative » et que cela suscitait « des inquiétudes ».

« Les enquêtes officielles sur les allégations crédibles selon lesquelles les actions et les omissions des garde-côtes grecs ont contribué au naufrage […] n’ont guère progressé de manière significative », estimaient les deux organisations. « La confiscation des téléphones portables des survivants, dont certains peuvent contenir des preuves clés des événements » interrogeaient notamment les ONG.

« Criminalisation » des exilés

Depuis plusieurs années, Athènes est accusée d’emprisonner sans preuves des exilés pour trafic illégal de migrants. Près de 2 000 demandeurs d’asile croupissent les geôles du pays et ont écopé de lourdes peines pour avoir été reconnus coupables d’avoir conduit les canots dans lesquels ils se trouvaient.

Les exilés condamnés pour ces faits représentent la deuxième plus grande catégorie de détenus en Grèce.

Selon l’avocat Dimitris Choulis contacté par Al Jazeera, l’affaire des neuf Égyptiens est un nouvel exemple de la « criminalisation » des exilés. « Nous constatons les mêmes tendances et la même réticence de la partd es autorités à enquêter sur ce qu’il s’est passé », signale-t-il.

L’ONG qui assure leur défense, Lesbos legal centre, déplore dans un communiqué un manque criant de preuves. Selon les avocats, le dossier d’enquête repose « presque exclusivement » sur une poignée de témoignages recueillis dans des « circonstances douteuses ».

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