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Déchaînement de violences racistes contre les migrants à Chypre

Depuis plusieurs jours, des attaques racistes, alimentées par l’extrême-droite chypriote, visent des étrangers dans plusieurs villes de l’île. Des « scènes de chaos » ont eu lieu, selon les médias. Les tensions entre locaux et migrants ont redoublé d’intensité sur ce territoire européen qui accueille le plus de demandeurs d’asile proportionnellement au nombre d’habitants. Pourtant, Nicosie redouble d’efforts pour expulser les étrangers en situation irrégulière et durcir ses conditions de protection internationale.

Vendredi 2 septembre. La ville portuaire de Limassol, au sud de Chypre, a des airs de désolation. Les vitrines des commerces détruites par les cocktails molotov jonchent le sol tandis que les restes de voitures calcinées continuent lentement de fumer. « La région s’est rapidement transformée en zone de guerre », écrit le Cyprus Mail. La veille, ce soir-là, environ 200 Chypriotes, vêtus de noirs, ont défilé dans les rues pour crier leur haine des étrangers. « Chypre est grecque », ont-ils scandé avant de s’en prendre physiquement à des personnes « ayant la mauvaise couleur de peau », écrit encore le journal chypriote. Une femme vietnamienne a vu son commerce pillé et brûlé par les émeutiers. Un Syrien assis sur la plage a été roué de coups. Des témoins ont entendu les agresseurs hurler : « Jetez-le à la mer ».

Une autre victime, égyptienne, propriétaire d’un restaurant non loin de la plage, a qualifié les violences d' »inimaginables ». « Je vis dans ce pays depuis 14 ans et je n’ai jamais eu de problème avec les Chypriotes », a déclaré l’homme au Cyprus Mail. « Je paie des impôts, je fais tout correctement, je ne cause de problèmes à personne. Pourquoi font-ils cela ? »

Partout, « des scènes de chaos », écrit encore le journal chypriote. Et une présence policière quasi-invisible. « Bien qu’il soit notoire que le front de mer regorge d’entreprises étrangères, il n’y avait aucun policier pour surveiller la zone et repousser les manifestants », dénonce le journal. Treize personnes ont été arrêtées le lendemain.

Ce n’est pas la première nuit de violences que connaît l’île. La semaine dernière déjà, des attaques et manifestations racistes avaient été recensées dans plusieurs autres villes, dont Chlorakas. Là encore, les manifestants exhortaient les étrangers, notamment les Syriens, à « quitter le pays ».

« Nous voulons récupérer nos quartiers, nos villages, nos villes qui ont été ghettoïsées », a déclaré le parti d’extrême-droite Elam, dans un communiqué, pour justifier ces violences racistes. Plus de 20 personnes ont été arrêtées à la suite de ces premières émeutes parmi lesquelles huit Chypriotes grecs, un ressortissant grec et douze Syriens.

La crise de Chlorakas

Comment expliquer un tel déchaînement de violences alors que le nombre de demandeurs d’asile à Chypre a chuté de 53% au cours des cinq derniers mois, selon les données fournies par le ministère de l’Intérieur ?

Sans doute l’exaspération des habitants vient-elle des chiffres de la police qui montre une augmentation des arrivées de migrants par la mer. Plus de 500 exilés ont foulé le sol chypriote après avoir traversée la Méditerranée sur des bateaux de pêche ou des canots pneumatiques au cours des trois derniers mois. La grande majorité d’entre eux étaient originaires de Syrie, ravagée par la guerre, mais venaient aussi du Liban, en proie à une sévère crise économique.

Pour d’autres, l’inefficacité politique et administrative sont aussi un début d’explication. « Le gouvernement, en particulier au cours des années 2016 à 2022, n’a pas réussi à gérer efficacement l’afflux de migrants et la crise des réfugiés, ce qui a entraîné des retards importants dans le traitement des demandes d’asile », analyse de son côté le journal grec Kathimerini.

Plus récemment, les tensions sur l’île se sont aussi cristallisées autour de l’évacuation d’un complexe immobilier, sans électricité ni eau courante, de la ville côtière de Chlorakas où résidaient presque 1 000 migrants syriens. Depuis 2020, les occupants de ce squat doivent être expulsés pour raisons sanitaires et de sécurité. Mais la situation s’est enlisée. De nombreuses manifestations ont été organisées par les habitants de la commune – et exacerbées par les partis d’extrême droite – pour exiger que ces appartements soient évacués tandis que les exilés protestaient dans le même temps pour être hébergés dignement. Le démantèlement a finalement eu lieu le 22 août 2023 sous grandes tensions.

Le parti communiste Akel soutient que l’origine des violences trouve son point de départ dans la gestion de la situation à Chlorakas. « Le précédent gouvernement a refusé de s’occuper [de ce squat]. On savait depuis des années que le complexe résidentiel était dans un état révoltant ».

« Totalement inacceptable »

Affirmant être en première ligne face aux flux migratoires au sein de l’Union européenne (UE), Nicosie réclame depuis des années plus de fonds et de soutien politique de la part de Bruxelles pour gérer cette question. Proportionnellement à son nombre d’habitants, Chypre est le pays de l’UE qui accueille le plus de demandeurs d’asile. Près de 5% des 915 000 habitants du pays sont des demandeurs d’asile.

Depuis plusieurs mois, les autorités chypriotes ont multiplié leurs efforts pour expulser les migrants en situation irrégulière vers d’autres pays – ou les inciter à partir via des programmes de retours volontaires. Quelque 4 370 migrants ont déjà été renvoyés en 2023, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. En 2022, l’île avait expulsé 70 % des migrants entrés illégalement dans le pays, soit 7 000 personnes. Un nombre record facilité par des accords avec les pays d’origine, comme l’Inde, le Bangladesh, le Pakistan et le Vietnam.

À ce sujet, le ministre de l’Intérieur, Konstantinos Ioannou, s’est rendu au Liban le 27 juillet et a annoncé « une coopération étroite en matière de prévention des flux irréguliers ». Sont notamment prévus : des formations de patrouilles conjointes pour empêcher les arrivés de bateaux et surtout un accord qui permet à Chypre de « renvoyer » les migrants vers le Liban qu’il considère comme « pays tiers sûr ».

« L’économie chypriote s’effondrerait sans les travailleurs migrants »

Ce durcissement de la politique migratoire porte ses fruits. Le nombre de demandeurs d’asile à Chypre a donc chuté de 53% depuis le mois d’avril. Et pour tenter de dissuader les candidats à l’exil de rejoindre le pays, les autorités chypriotes ont récemment lancé une campagne d’information sur les réseaux sociaux. Intitulée « Let’s Talk Truth About Cyprus » (en français, « Parlons franchement à propos de Chypre »), elle a été conçue pour informer sur les difficultés et les illusions de l’exil à Chypre.

Parmi les informations mises en avant : le taux de rejet des demandes d’asile qui avoisine 96 % et l’interdiction d’entrer sur le territoire européen pour cinq ans en cas de rejet d’une demande d’asile.

En outre, le gouvernement a annoncé mercredi 19 juillet une nouvelle mesure pour dissuader les exilés de venir dans le pays : les demandeurs d’asile arrivés à partir de janvier 2023 à Chypre seront exclus du programme de réinstallation dans un autre État membre de l’Union européenne (UE).

Toutefois, l’île a besoin de la présence de migrants, ne serait-ce que pour préserver la santé économique du pays. « L’économie chypriote s’effondrerait sans les travailleurs migrants », a rappelé lundi 4 septembre, le ministre du Travail Yiannis Panayiotou, pour tenter de calmer les tensions. Les étrangers représentent près d’un quart de la main-d’œuvre. « Au total, 110 000 ressortissants de pays tiers travaillent actuellement légalement sur l’île – et cotisent à la sécurité sociale, contre 340 000 Chypriotes grecs », a ajouté le ministre.

 

La République de Chypre, membre de l’Union européenne (UE), n’exerce son autorité que sur la partie Sud du pays divisé, depuis l’invasion par la Turquie du tiers Nord de l’île en 1974.

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