Alcool et drogues: les consommateurs algériens au régime sec
Les consommateurs d’alcool sont tenus de trouver des moyens d’approvisionnement parallèles depuis la fermeture des bars et des dépôts imposée par les autorités en cette période de pandémie. La situation est plus complexe, voire dangereuse, pour les consommateurs de drogues qui ont des difficultés à se fournir en cannabis et en psychotropes.
«Ce satané coronavirus nous a plongés dans la Prohibition», peste Djamel, habitant d’un village de la vallée de la Soummam dans la région de Bejaïa (200 km à l’est d’Alger). Tous les bars et les dépôts de vins et de liqueurs des environs ont été fermés, fin mars, sur décision du wali (préfet). Depuis, trouver une bouteille d’alcool ou une canette de bière est devenu une mission de plus en plus difficile. «Il faut appeler le copain qui va appeler son pote qui connaît un ami qui a un bon plan», explique-t-il à Sputnik.
La bouteille de bière à 250 dinars (1,40 euro) se vend désormais 450 dinars (3,25 euros).
En Algérie, plusieurs opérateurs produisent du vin et de la bière, la vente d’alcool est libre mais elle reste très réglementée. Face à cette crise, les amateurs de bonnes bouteilles sont presque tous logés à la même enseigne. Samir, jeune cadre algérois, reconnaît avoir du mal à s’approvisionner.
«J’ai réussi à attraper quelques bouteilles de bière auprès d’une connaissance qui m’a orienté vers un vendeur au noir. Il avait pu stocker de la marchandise avant l’entrée en vigueur des mesures restrictives. J’ai eu droit à de la bière de seconde catégorie à un prix relativement correct, mais bon, je ne vais pas faire la fine bouche. Les quelques revendeurs spécialisés dans la livraison à domicile ont multiplié leurs tarifs par deux. Le problème, c’est que leurs stocks sont en train de fondre et ils auront des difficultés à les renflouer car les brasseries industrielles et les importateurs d’alcool ne travaillent pas durant le mois de ramadan», précise Samir à Sputnik.
Tensions sur la Zetla
Les temps sont durs également pour les fumeurs de cannabis, drogue produite par le voisin marocain mais qui est interdite en Algérie. Le couvre-feu, imposé dans tout le pays, est cependant encore plus contraignant à Alger et dans la région frontalière de Tlemcen (de 15h à 7h), principal point de passage du chanvre indien. Cela a créé une véritable tension sur ce produit. Le dispositif semble donner des résultats puisque l’armée et les garde-frontières ont multiplié les prises ces dernières semaines.
Les barons de la zetla (cannabis en algérien) semblent avoir plus de difficultés à transporter leur marchandise de l’ouest du pays vers les grands centres urbains. La drogue se fait si rare qu’elle a créé des tensions dans certains quartiers de la capitale. Lundi 6 avril, des jeunes présentés comme étant des dealers du quartier populaire d’Aïn Melha ont refusé de respecter les horaires du couvre-feu et ont provoqué une bagarre générale qui a nécessité l’intervention d’une unité antiémeute. L’enquête a démontré par la suite que cette vague de violences avait été provoquée pour dénoncer l’installation d’un nouveau barrage filtrant de la gendarmerie à quelques kilomètres de l’entrée de ce quartier.
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Violente bagarre dans un quartier populaire d’Alger provoquée par des dealers de cannabis.
Livraison à domicile
Pour éviter de se retrouver à la merci des dealers, certains consommateurs ont pris leurs dispositions et se font livrer leur «savonnette» à domicile. C’est le cas de Houria, manager de 35 ans, qui consacre un budget mensuel de 30.000 dinars (220 euros) pour «son petit plaisir».
«Je passe commande auprès d’un revendeur qui livre à domicile. En plus de la discrétion et de la sécurité, cette option me permet d’avoir du cannabis de bonne qualité. Je dois dire que je suis chanceuse car il a pris ses dispositions pour faire un stock. En cette période de couvre-feu, la seule chose qui a changé, c’est les horaires de livraison. Le dealer doit se lever le matin. Je dois donc rester chez moi pour réceptionner la livraison», indique Houria.
Fumette au henné
Samir, notre jeune cadre, semble avoir moins de chance puisqu’il est obligé de s’approvisionner auprès d’un petit dealer de quartier. «Les quantités disponibles sur le marché sont de mauvaise qualité. Il m’arrive de faire l’impasse et de ne pas en acheter», dit-il. Azziz, spécialiste en communication, se plaint lui aussi de la même problématique. «Pour avoir accès à de la bonne marchandise il faut mettre le prix fort. Certains cotisent pour acheter une plaque de 500 grammes et se la partagent. Quand on se procure de petites boules chez un dealer, on est presque sûr de se retrouver avec du cannabis coupé au henné», déplore-t-il.
En Algérie, le coronavirus, qui a provoqué le décès de 336 personnes et en a contaminé 2.160 autres, pourrait également faire des victimes collatérales, essentiellement parmi les consommateurs de psychotropes et les alcooliques. Le docteur Sihem Abbas, psychiatre spécialiste en addictologie qui exerce dans le secteur public, explique à Sputnik que des personnes souffrant d’addiction à l’alcool se rabattent sur des produits de substitution «réellement dangereux».
«Les personnes souffrant d’alcoolisme qui ont l’habitude de consommer du vin conditionné dans des briques en carton n’ont pas les moyens d’acheter des bouteilles au prix fort. Depuis quelque temps, des pharmaciens de ma région font face à des personnes qui achètent de petits flacons d’alcool chirurgical, de l’eau de Cologne et même des solutions alcoolisées comme le Synthol. C’est une situation très complexe car le sevrage alcoolique brutal peut provoquer un delirium tremens. Dans certains cas, les personnes peuvent avoir des gestes violents, voire désespérés comme le suicide», affirme-t-elle.
Saroukh, la fusée létale
Si les accros au cannabis peuvent s’en sortir sans trop de mal en cas de manque (l’accoutumance étant essentiellement psychologique), la situation peut s’avérer dramatique pour les consommateurs de psychotropes et d’opiacés.
Lyrica, un traitement dédié au traitement de douleurs neuropathiques, fait de véritables ravages dans la société algérienne. Surnommé Saroukh (fusée), ce comprimé est produit en quantité industrielle par plusieurs laboratoires du pays. Le danger est tel que de nombreux médecins évitent de le prescrire de peur de se retrouver derrière les barreaux pour trafic de drogue. En ces temps de crise sanitaire, le docteur Sihem Abbas a constaté l’afflux de consommateurs de psychotropes vers les structures de santé publique à la suite de la fermeture de nombreux médecins spécialistes libéraux.
«Ces dernières semaines, les consommateurs d’anxiolytiques et d’antiparkinsoniens ont commencé à prendre conscience de ce qu’est la réalité du confinement. Les services psychiatriques des hôpitaux ont vu arriver des personnes dépendantes demander avec insistance des ordonnances. Avec le confinement, celles-ci estiment que les médecins du secteur public sont désormais solidaires d’elles. D’autres pensent que les professionnels vont leur prescrire ce qu’ils veulent car ils auront peur de rester trop longtemps face à un patient qui risque de les contaminer durant l’entretien», relève la spécialiste.
Selon le docteur Abbas, un consommateur de psychotropes en situation de sevrage durant la période de confinement sera confronté à divers symptômes physiques (douleurs abdominales, fièvres, nausées) ainsi qu’à une irritabilité et une mauvaise tolérance au stress. Une situation qui peut avoir des conséquences négatives dans le milieu familial.