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L’artiste Achref Chargui livre sa vision du monde artistique post-covid

La crise du Covid-19 a pesé de tout son poids sur un secteur culturel déjà en difficulté structurelle, financière et en manque de solidarité. Le domaine artistique semble parmi les plus touchés dans un pays qui a du mal à véritablement s’imposer et à faire imposer ses artistes sur la carte et l’agenda artistiques à l’international.

L’artiste Achref Chargui, auteur-compositeur, serait parmi ceux qui vivent le malaise d’une scène artistique en berne pour des raisons sur lesquelles nous nous attarderons dans cette interview.

A l’occasion de la Journée de l’Afrique tenue le 26 mai sous les auspices de l’Unesco, l’agence Tap avait annoncé la participation de Achref Chargui au Wan Show du Worldwide Afro Network (réseau afro mondial), largement médiatisé notamment sur le vieux Continent.

Ce concert virtuel qui a permis une mobilisation de la société civile africaine et sa diaspora en faveur des artistes touchés par la pandémie de coronavirus, constitue pour Chargui « une fierté d’avoir pu hisser haut le drapeau du pays parmi une pléiade d’artistes de renom ».

Dans un entretien téléphonique, le jour même du concert, et dont le déroulement est commandé par les restrictions sanitaires en vigueur, l’artiste a pu revenir sur un tas de lacunes et de difficultés qui accablent l’artiste aussi bien que le développement économique. Ses projets, ses ambitions et sa quête d’un monde meilleur sont aussi un segment de l’entretien.

//Réforme et Dialogue pour une véritable visibilité de l’artiste//

Des lois obsolètes et autres toujours non appliquées, à la lenteur administrative s’ajoutent le dictat de pratiques immorales et scrupuleuses comme le copinage, Achref Chargui n’est pas prêt à mâcher ses mots. Une vérité qui n’a pourtant rien de secret pour personne dans le secteur et qui a récemment été mise à l’épreuve de la crise sanitaire.

Le confinement généralisé entamé officiellement le 22 mars dernier a fait ressurgir de nouvelles répercussions négatives dues à l’arrêt des manifestations artistiques. Des artistes sont jetés à leur sort attendant des aides qui généralement tardent à venir, sauf pour les plus chanceux.

Producteur, compositeur largement sollicité dans des pays d’Europe, au Canada aussi bien qu’en Afrique, Achref Chargui est actif dans la défense des droits de l’artiste et se mobilise dans un vaste réseau d’artistes africains engagés à aider les gens de la profession notamment en cette période de crise.

Il est membre du Comité artistique international (CAI) du Marché des Arts du Spectacle d’Abidjan (MASA). Créé en 1990, ce programme de développement culturel des arts du spectacle africain œuvre depuis 1993 à l’accès des productions africaines et de leurs artistes au marché international.

Malgré les difficultés du secteur en Tunisie, il demeure fière de son appartenance à cette Tunisie où ses conditions, comme celles de beaucoup de ses collègues de la profession, lui font tant de mal que de bien.

Son appel le plus urgent en concerne la situation actuelle qui commande de prendre des mesures et des décisions qui visent le long-terme. Réorganiser le secteur et couper court avec ce virus qui affecte la profession, le lobbying et le copinage aux dépens de la compétence ou tout autre considération logique, est selon lui une priorité à envisager par les institutions publiques.

Face au chaos dans le secteur artistique et les droits d’auteurs bafoués, notamment pour faute de structures de régulation efficaces qui veillent à l’exploitation des œuvres artistiques audiovisuelles, sa conception du futur de de la profession est plutôt pessimiste à moins que des changement ne soient véritablement opérés.

A ce sujet il est catégorique, « le futur est flou du moment où il n’y a pas eu un véritable dialogue entre le le secteur institutionnel et les professionnels ».

Chargui évoque surtout « un manque de visibilité pour l’artiste tunisien qui est dû à une absence de volonté politique à l’égard d’un secteur qui est pourtant habilité à contribuer largement au développement économique du pays ». Il cite l’exemple de pays qui en font une réelle industrie et suggère de « permettre à l’artiste l’ouverture d’un compte en devise pour pouvoir bien se positionner à l’étranger sur des plateformes musicales en ligne, comme Spotify, iTunes , Deezer.. « .

Un objectif qui anime aussi beaucoup de ses collègues dans le secteur de création et pratique artistique musicale et dont la concrétisation dépend de « l’accord de la Banque Centrale pour le transfert en devises ».

Le crowdfunding très en vogue chez les créateurs en Occident, est également un concept qu’il espère voir adopter chez nous, après la facilitation et la simplification des procédures financières et administratives en vigueur.

Mais avant de voir tout changement à l’horizon se réaliser, il espère la tenue d’un débat national sur le sujet ainsi que sur la situation de l’artiste en général.

//Le parcours ambitieux d’un artiste-académicien //

Côté créatif, ses œuvres sont souvent porteuses de l’identité et les sonorités du pays, « la Tunisie ou l’ancienne Ifriqiya, Capitale de l’Afrique », dit-il. Plus qu’un instrument, le luth (Oud) pour Achref Chargui est l’ami qui lui inspire créativité dans ses moments de joie comme celles de détresse.

Des fusions sonores qui se traduisent dans des albums comme « Tajalliyat » et morceaux aussi originaux dont « Brises », « Relampago», « Lella Manoubia », « Toscana ».

Ses partenaires de production sont multiples dont «New generation » mais ce qui lui fera le plus plaisir serait une production portant le Label Made In Tunisia.

Malgre ses 36 printemps, notre artiste a déjà parcouru des étapes importantes dans sa carrière professionnelle. Producteur, diffuseur artistique et directeur de festival, Chargui est toujours prêt à multiplier les expériences et explorer de nouveaux champs de créativité.

Il opte pour une promotion de la musique tunisienne revisitée qui traduit cette soif insatiable chez lui de toujours changer de casquette artistique mais jamais de convictions.

Il a d’abord été à la direction artistique de manifestations comme « Word Music El Jem (2017), « Founoun Al Bouhaira » (2016), « Layali Essalihia » (2017) et à plu grande échelle « Les Journées Musicales de Carthage (2018), une édition durant laquelle il a eu le privilège d’organiser le Premier Salon du Luth qui est d’ailleurs son Instrument de prédilection.

Son tout dernier né « Hippie Tounsi » en 2019 a pu drainer un large public et des artistes étrangers vers le Sud tunisien et le charme de ses nuitées rythmées dans une action qui combine l’artistique au touristique, et s’inscrit dans les nouvelles formules adoptées dans la promotion de la Destination Tunisie.

Cet ancien de l’Institut Supérieur de la Musique de Tunis (ISMT), est Doctorant en musicologie et Sciences Culturelles multidisciplinaire qui touche à la fois aux musiques arabe et tunisienne en plus d’un Diplôme d’Instrument.

Les ambitions de cet universitaire actuellement affecté à l’Institut des Arts et Métiers de Gabès (ISAMG) ne s’arrêtent pas sur les bancs de la faculté mais les dépassent vers la création d’un monde meilleur pour la créativité artistique et la profession d’artiste.

Le monde musical longtemps mis à l’écart de la chaîne de développement garde espoir en un avenir meilleur pour la période post-Covid-19 et les promesses de relance économiques et sociales dans le pays.

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