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Professeur Coumba Touré: «L’Afrique doit participer aux essais sur le vaccin anti-Covid»

Si elle ne veut pas être marginalisée, l’Afrique devra participer aux essais pour trouver un vaccin contre le Covid-19. Malgré son sous-équipement et l’exode des cerveaux, la recherche africaine a intérêt à mettre en avant sa phytothérapie, a plaidé au micro de Sputnik France le professeur Ndeye Coumba Touré Kane, une virologue spécialiste du VIH.

On se souvient de l’indignation suscitée par les propos échangés, le 1er avril dernier sur la chaîne LCI, entre Camille Locht, directeur de recherche à l’Inserm à Lille (nord de la France), et Jean-Paul Mira, chef de service de médecine intensive et réanimation à l’hôpital Cochin. Parlant de recherches menées autour du vaccin BCG contre le Covid-19, les deux Français avaient évoqué la possibilité d’essais cliniques en Afrique, à l’instar de ce qui avait été fait sur des travailleuses du sexe pour le vaccin contre le sida.

Regrettant que de tels «propos racistes ne font rien avancer», le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, avait aussitôt rétorqué que l’Afrique «ne sera un terrain d’essai pour aucun vaccin». Au-delà de cette polémique, la question de la participation de l’Afrique n’en est pas moins posée. D’autant que des essais sont déjà prévus en Europe et en Australie, selon l’Inserm, et que plus de 100.000 Américains se sont portés volontaires dans les régions les plus touchées aux États-Unis.

Car même s’ils peuvent difficilement rivaliser avec les moyens déployés par les grands laboratoires pharmaceutiques du Nord, les instituts de recherche africains ont tout intérêt à participer aux essais sur ce futur vaccin, y compris sur des humains. D’autant que malgré un sous-équipement médical chronique et la fuite des cerveaux, le continent –qui regorge de plantes médicinales–, a des atouts à faire valoir à condition de mettre en place des protocoles et les essais cliniques qui vont avec.

 

Invitée Afrique de Sputnik France, le 20 mai, aux côtés du professeur Aimé Bonny, un cardiologue camerounais qui a alerté sur le protocole élaboré par le Pr Didier Raoult, et du docteur congolais Jérôme Munyangi, qui coordonne la task force «Artemisia for Africa», le Pr Ndeye Coumba Touré Kane, virologue sénégalaise, spécialiste du VIH-Sida, a insisté sur la nécessité pour le continent de ne pas s’exclure de cette compétition mondiale dans la course au vaccin contre le SARS-CoV-2, responsable de la maladie du Covid-19.

Pour cette titulaire de la chaire bactériologie-virologie à la faculté de médecine de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, qui dirige le laboratoire de bactériologie-virologie-biologie moléculaire du centre hospitalier universitaire Dalal Jam de Dakar, rester en dehors des essais serait, en effet, contre-productif. Par ailleurs, directrice scientifique et responsable de la plateforme de biologie de l’Institut de recherche en santé de surveillance épidémiologique et de formation (Iressef), le professeur Ndeye Coumba Touré Kane a également son mot à dire en tant que conseillère technique numéro un du ministre sénégalais de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

«C’est bien beau de dire qu’il faut de l’équité quand le vaccin sortira afin qu’il soit disponible pour tous. Mais si l’Afrique ne veut pas être marginalisée, elle devra participer aux essais. Car là, nous pourrons avoir notre mot à dire sur sa véritable efficacité. D’autant qu’il nous sera possible ainsi de comparer différents terrains, chez nous, avec des fonds génétiques différents», a déclaré au micro de Sputnik France le professeur Ndeye Coumba Touré Kane.

Même si, pour l’instant, «personne n’a trouvé l’anticorps miracle», selon la virologue sénégalaise, l’Afrique, qui regorge de plantes aux vertus médicinales connues depuis des millénaires, pourrait constituer un réservoir inépuisable contre les coronavirus, à condition de «booster» le développement d’une recherche endogène à partir de sa pharmacopée traditionnelle.

Manque de moyens

D’où la nécessité de soutenir les instituts de recherche sur les plans national, régional et continental afin de répondre aux besoins de santé publique des populations et non plus les faire travailler comme auxiliaires des programmes de recherche de l’Occident.

Pour le Pr Touré, même si le continent n’est pas en position, pour l’instant, de trouver seul le vaccin contre le Covid-19, il peut largement y contribuer s’il s’en donne les moyens.

«Se mettre dans la course (pour le vaccin) serait trop dire, mais participer à la recherche, oui! Notre phytothérapie est très riche. Il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas trouver des anticorps neutralisants. Mais pour faire de la recherche vaccinale, il faut un environnement favorable et des investissements. C’est malheureusement ce qui fait le plus souvent défaut en Afrique», regrette la directrice scientifique et responsable de la plateforme de biologie de l’Iressef.

Relativement épargnée par la pandémie, jusqu’à présent, l’Afrique a donc plus que jamais besoin de ses chercheurs pour faire face à la crise humanitaire et économique qui la menace. Car elle pourrait devenir l’épicentre d’une «deuxième vague» du Covid-19 ou, à tout le moins, subir une «épidémie silencieuse», comme le craint l’envoyé spécial de l’OMS et ancien ministre de la Santé du Mali, Samba Sow, si ses dirigeants ne donnent pas la priorité au dépistage du coronavirus,

Prévenir étant la meilleure approche dans un contexte de pandémie et de pauvreté, les gouvernements africains ont donc tout intérêt à privilégier des solutions thérapeutiques simples et bon marché.

Besoin d’encadrement

Pour le Pr Touré, non seulement les chercheurs africains en sont capables, puisqu’ils sortent des mêmes universités que leurs pairs occidentaux, mais depuis que la pandémie a éclaté, elle constate, non sans fierté, l’invention de solutions ingénieuses pour contrer l’avancée du Covid-19 sur le continent.

«Le Covid-19 a montré que l’Afrique regorgeait de génies créateurs. On a vu énormément d’avancées avec des applications lancées par des jeunes qui se sont avérées très utiles. On a vu des ingénieurs mettre au point des dispositifs médicaux ingénieux. Par exemple, au Sénégal, ils ont réussi à créer des respirateurs artificiels. Des étudiants ont élaboré des robots (appelés docteurs K) vraiment utiles dans la prise en charge. Toute cette ingénierie qui a jailli spontanément, il faut l’accompagner, l’encadrer», recommande-t-elle.

Pour cette scientifique de haut vol, seule une approche de «santé globale», sans plus de frontière entre la santé animale et humaine, permettra de solutionner le Covid-19. Avec –en plus du recours à l’épidémiologie, la biologie (particulièrement la génomique), la microbiologie et l’écologie incluant les sciences sociales et environnementales– l’impérieuse nécessité en Afrique de développer des tests cliniques.

«Comme cela a été fait pour l’artémisia, il faudrait que des consortiums soient mis en place à l’échelle du continent. Nous pourrions aussi nous inspirer de ce qui se fait en matière de nouvelles technologies, avec des réunions virtuelles pour l’élaboration de protocoles standardisés, structurés. Ce qui nous permettrait également d’orienter nos décideurs vers des actions vraiment utiles pour nos populations», préconise le Pr Touré.

Si la phytothérapie africaine peut, sans conteste, contribuer à la recherche mondiale (par des mécanismes impliquant des propriétés virucides et de modulation du système immunitaire), reste encore aux décideurs africains à en être convaincus.

Jamais, en effet, le «volontarisme politique» n’aura été aussi nécessaire pour «s’émanciper de solutions scientifiques occidentales souvent très éloignées du contexte local», comme le constate le directeur de l’Institut Mandela dans ses chroniques régulières depuis avril sur l’impact du coronavirus sur l’Afrique. Pour Paul Kananura, tout l’enjeu consiste désormais à «briser la dépendance vis-à-vis de la pression des lobbies pharmaceutiques qui n’ont pas d’intérêt à ce que des médicaments bon marché puissent empiéter sur leurs business», écrit-il.

 

 

 

 

 

 

Par : Christine H. Gueye

Source : Sputnik 

 

 

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