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Au Cameroun, la colère des avocats gronde

Au tribunal de Douala, une audience a dérapé et des avocats ont subi des violences policières. Devant le silence des autorités, ces professionnels du droit, qui affirment avoir été victimes d’actes de provocation ou d’agression, envisagent «des mesures fortes».

L’image fait encore le tour de la Toile au Cameroun. Dans une vidéo devenue virale, on peut voir une escouade des Forces de maintien de l’ordre (FMO) en pleine altercation avec des hommes et femmes en robe noire, dans un nuage de fumée de bombes lacrymogènes en pleine salle d’audience d’un tribunal de Douala, la capitale économique du pays.

Une vidéo de la chaude altercation entre les avocats et les forces de l’ordre à Douala.

Ces événements se sont déroulés le mardi 10 novembre au tribunal de première instance de Bonanjo, à Douala. Une centaine d’avocats étaient venus demander qu’une mise en liberté provisoire soit accordée à deux de leurs confrères, impliqués dans un dossier de «corruption et tentative d’escroquerie» et d’«outrage à magistrat».

Après des débats houleux entre les avocats et le parquet, l’affaire a été mise en délibéré pour le 25 novembre prochain. La décision a irrité les avocats présents, qui s’attendaient à une mise en liberté provisoire ou tout au plus à un jugement à bref délai. Des voix se sont élevées et la situation a dégénéré en échauffourée entre les hommes en robes noires et les FMO, faisant quelques blessés dans les rangs des avocats.

Des avocats à la barre de l’humiliation?

Dans le pays, beaucoup s’interrogent sur les raisons d’une telle violence.

Si pour certains, les avocats ont leur part de responsabilité en ayant fait monter la tension pour contester cette décision, pour d’autres, il est inadmissible d’en arriver à une scène de guérilla urbaine en plein tribunal. Dans cette lettre ouverte adressée au ministère de la Justice et publiée par des médias camerounais, Claude Assira, avocat au Barreau du Cameroun, fait entendre sa colère.

«Qu’est-ce qui peut justifier un tel déchaînement de violence et de barbarie dans un palais de justice, contre des avocats uniquement armés de leurs costumes professionnels? Au nom de quoi justifiez-vous cette double profanation des emblèmes séculiers de notre justice?», s’indigne-t-il.

Pour Me Dominique Fousse, la salle d’audience est «un lieu sacré» pour leur profession et «aucun avocat ne saurait rester indifférent à cette situation», écrit-elle sur son compte Facebook.

Si la pilule a du mal à passer dans la corporation, c’est surtout qu’il ne s’agit pas de la première fois que les avocats se trouvent dans le collimateur des forces de l’ordre.

Me Sother Menkem est l’un des avocats constitués pour la défense des manifestants arrêtés lors des «marches pacifiques» initiées par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) et ses alliés. Début octobre dernier, dans une publication sur son compte Facebook, il relatait déjà «l’humiliation» vécue au secrétariat d’État à la défense et dénonçait de nombreuses violations du droit enregistrées au cours de ses rencontres avec les clients.

«Je n’ai jamais été aussi humilié depuis que je défends les droits des plus vulnérables. Je n’ai jamais vu ma qualité d’avocat foulée au sol de telle manière», pouvait-on lire.

secrétaire d’État en charge de la gendarmerie dans laquelle il se disait «profondément outré par cette énième violation qui tend à se banaliser au sein du corps de la gendarmerie nationale».

Les avocats dans la rue?

Depuis, les plaintes des avocats ne cessent de pleuvoir. Le 27 octobre dernier, Me Cosmas Owono Mbarga s’est dit victime de «bavures policières» dans les locaux d’un commissariat de police de Yaoundé, alors qu’il s’y était rendu pour assister un de ses clients. Un autre cas qui a fait réagir le barreau. Dans une correspondance adressée au patron de la police, le président de la Commission de veille sur les atteintes à la pratique professionnelle quotidienne de l’Ordre des avocats soulignait cette autre «violation flagrante» du droit:

«[C’est] l’atteinte de trop, qui ne saurait rester impunie, sous peine de voir les avocats descendre dans la rue à un moment où notre pays traverse des instants difficiles dans son unité et sa tranquillité», peut-on lire dans la lettre.

Dans les rangs de l’Ordre, ces agressions récurrentes commencent à agacer sérieusement et pourraient aboutir à une réaction forte. Pour Me Ted Demanou, avocat au Barreau du Cameroun, «des mesures fortes» doivent être prises.

«Le Barreau du Cameroun est en train de prendre la mesure des actes du 10 octobre 2020 afin de réagir efficacement. L’avocat tout comme la justice prennent leur temps. Mais des dispositions appropriées vont être prises», plaide-t-il au micro de Sputnik.

Alors que les avocats menacent de passer à la vitesse supérieure si rien n’est fait pour restaurer leur dignité, le ministère de la Justice n’a pas encore réagi aux événements de Douala, ni à aucun autre des faits d’agression recensés par les avocats camerounais.

Au plus fort des multiples crises que traverse le Cameroun, ces derniers, au sein de la société civile, se sont souvent montrées très critiques contre le pouvoir de Yaoundé. À travers des déclarations, et parfois des manifestations, ils n’ont jamais hésité à dénoncer les multiples atteintes aux droits de l’Homme dans le pays.

 

On se souvient par ailleurs que la violente crise séparatiste en cours dans les régions anglophones est partie aussi de frustrations exprimées notamment par les avocats. En effet, les tensions actuelles ont commencé en novembre 2016 avec les revendications des juristes –qui déploraient la suprématie du droit romain au détriment de la Common Law anglo-saxonne– et des enseignants –qui désapprouvaient la nomination de francophones dans les régions anglophones. Les forces de l’ordre avaient alors tiré des gaz lacrymogènes pour disperser une manifestation des avocats anglophones à Bamenda, dans le Nord-Ouest du Cameroun. Des images qui avaient suscité l’indignation générale avant d’aboutir à une série de protestations qui, par effet boule de neige, ont conduit à la crise actuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par Anicet Simo
Source :Sputnik 
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